mardi 25 mai 2010

L'amour du risque

Minuit se retourne dans les draps, elle soupire, sa poitrine se soulève... Je dois m'arrêter un moment. Je dois cesser de penser à tout ce qui est arrivé.
Pile, là, à cet instant précis, il n'y a que Minuit qui compte. Minuit à la peau laiteuse et de soie, Minuit aux yeux de la profondeur d'une mer des songes, Minuit au souffle plus doux que la caresse d'une nymphe dans un bosquet enchanté.
Je me lève de mon bureau, dans ma toute petite chambre, dans l'auberge du "Chat Noir" sise dans le domaine du seigneur Garresh, dans cette partie de Toril maintenant un peu plus tranquille, dans cette bulle d'univers perdue au milieu de millions d'autres, au centre de Tout ce qu'un Signeur de l'Un vénérerait...
Je pense que je mériterais presque plus d'être un chat qu'un ours. J'ai ce goût pour jouer, tromper un peu, séduire, jauger et revenir encore vers celui avec qui je veux jouer.
J'approche furtivement jusqu'au lit, Minuit sourit, un petit geste de ses doigts graciles dans ses cheveux ébène m'arrête. Un petit geste qui pourrait vouloir dire qu'elle s'est réveillée et attend sans doute que j'approche d'elle pour l'embrasser. Je me contente d'approcher ma main, de la glisser doucement sur sa cuisse, sa hanche, son épaule et son cou... Je finis sur le lobe de son oreille.
Je me souviens, à Sigil, d'un marchand de vin de lierres-rasoirs dont la mère prétendait pouvoir tout soigner en appuyant sur les bons points de pression au niveau du lobe de l'oreille.
Et je souris à mon tour. Pourquoi se contenter du lobe de l'oreille quand tout le corps frémissant d'une jeune femme vous est offert ?
Elle est si jeune, si fragile. Ce que je ne suis pas. Elle croit que je suis son héros. De fait, je le suis. Mais pas de ce genre qui est capable de vaincre un dragon, non. Plus de ce genre qui est capable comme un barde de faire renaitre la flamme chez ceux qui l'avaient sentie s'éteindre.
Elle m'a remercié lorsque je lui ai tout raconté, lorsque j'ai parlé de ces sentiments qui naissaient entre nous et de la possibilité qu'il y avait d'apprendre à mieux se connaître par les sens.
Elle a été assez curieuse de cette expérience que j'ai eue, là-haut, en rejoignant ceux qui veulent connaître l'univers par les sens. Elle m'a beaucoup interrogé sur les autres factions qui m'avaient plu. Le Signe de l'Un et l'idée que nous sommes au centre de notre propre univers, les adorateurs de la source et la possibilité qu'on puisse tous devenir des Dieux, la Libre Ligue qui préfère ne pas dire que quelqu'un a raison. Le verbe de l'Amour m'avait porté sur la Source et les Sensation. J'ai passé plus de temps chez les adeptes des sens, parce que c'était plus simple et que sans doute j'essayais de savoir ce que ma mère que je n'ai jamais connue aurait suivi.
Qu'est-ce que l'amour ? Une idée ?
Qu'est-ce que l'amour ? Deux personnes qui fusionnent ?
Qu'est-ce que l'amour ? Un lien éternel ?
Des réponses que je n'ai pas pour elle, pas encore. J'ai embrassé Minuit, cette nuit là où j'étais le héros rentrant d'une aventure périlleuse, après lui avoir raconté tout ce que nous avions vécu dans le mausolée du Seigneur Erfiel et de son frère - c'te satanée Chauve-souris.
Elle m'a rendu mon baiser. J'ai été honnête en lui parlant de Sunie, de cette chose qu'on appelle l'amour et qu'on aime propager, du vertige des sens qui peut emporter lorsqu'on connait plusieurs passions.
En serrant Minuit dans mes bras, j'ai songé à toutes les femmes que j'avais pu serrer au cours de ma captivité, ou tous les hommes, peut-être, parce qu'il ne faut pas mourir idiot. L'amour n'a pas forcément de sexe ou de visage.
En embrassant Minuit, en goûtant sa peau, en m'enivrant du parfum de ses lèvres, j'ai perçu des images de toutes les femmes de ce royaume, de ces royaumes, du multivers... Minuit était devenue l'essence de toutes les femmes, une sorte de grâce transcendée qui contenait tout en un et qui avait le potentiel d'être effectivement toutes ces femmes.
Je crois que mon esprit a vogué sur la possibilité de faire l'amour avec une femme capable de changer de corps, de se projeter avec moi dans l'astral ou l'éthéré et de rejoindre des royaumes où l'amour est tel qu'il se manifeste sans doute de la rosée, des fleurs ou un chant céleste à chaque fois que quelqu'un fait, donne ou chante l'amour.
Je passe ma main sur le front à la blancheur quasi marmoréenne, elle a un peu chaud, une légère fièvre. Peut-être est-ce la rude journée de travail que je me suis imposée et à laquelle, comme presque chaque jour elle a voulu participer.
Je m'assieds à côté d'elle, la main toujours sur son front.
Klark m'apporte la plume, le papier et la tablette. Sacré Klark, je lui ai donné la forme d'une sorte de Rakshasha. Je ne peux m'empêcher de murmurer un merci, même si c'est inutile. Les serviteurs invisibles sont, d'après toutes les études que j'ai lues sur le sujet, complètement dénués d'intelligence. Mais je ne peux m'empêcher de penser que Klark a ce petit truc en plus. Il est après tout un don de Mystra lié à un des domaines de Magie que la déesse m'a permis d'apprendre. De la magie profane pour quelqu'un qui en appelle aux Dieux. Sans la Déesse, je n'aurais pas le pouvoir d'invoquer Klark.
- " Va t'asseoir." Fais-je à ce brave Klark qui s'exécute gentiment.
Une main sur le front de Minuit, l'autre sur la plume, je me sens au centre d'un univers ; tout est parfait, tout est juste, tout coule plus clair que l'onde cristalline des Monts Célestes... Je ferme les yeux, pas un autre souffle que celui de Minuit, pas un autre bruit que la plume qui crisse sur le papier, pas une autre odeur que celle des roses disposées sur la table de chevet. Je suis l'équilibre, il n'y a que un point, un seul, qui contient tout : l'homme, la femme, l'ange, le démon, la justice, la liberté, le destin, la volonté, le rire, la bête, la rage... et les mots qui se créent sur le papier...

Mon oncle...
Tu me verras là plus ravi que je ne l'ai jamais été.
Je suis au plus juste la route de la connaissance du monde et du soi. Je suis devenu meilleur lanceur de sort, j'ai compris quelle était la nature de l'essence que je pouvais distiller dans des créations matérielles, j'ai à mes côtés une femme qui peut m'ouvrir tous les univers, j'ai des compagnons d'aventure qui seraient prêts à franchir presque toutes les frontières et découvrir, peut-être, un jour avec moi, la manière dont ils veulent regarder le grand Tout.
J'ai rejoint, enfin, l'ordre des ménestrels. Oui, mon oncle, je suis devenu un prêtre au sein de leurs rangs. Une cérémonie plus que secrète où le Seigneur Varasq m'a présenté à des personnages masqués venus là pour m'adouber et savoir quels moyens je comptais mettre en œuvre pour repousser les ennemis des royaumes et certaines créatures impies. Je n'ai pas eu malheureusement le temps de leur demander qui tu étais ou qui était ta sœur car j'ai l'impression presque diffuse parfois, vois-tu, que tu existes dans un autre monde, à côté de celui-ci et que j'aurais pu sans le vouloir traverser un portail sans retour pour l'instant. Toi dans un univers presque semblable au mien. Ça pourrait avoir quelque chose de plus rassurant que le fait que tu ne puisses être qu'un fragment de mon imagination.
Un univers presque semblable au mien où près de deux cents voleurs de la cité du Seigneur Elkrin ne seraient pas morts en vain, où le pauvre seigneur ne se serait pas suicidé après avoir été manipulé si longtemps et où, le terrible frère du seigneur Erfiel n'aurait pas commis l'impair, grâce à un bâton magique contenant un des sorts les plus puissants qui soit, de détruire un artefact du mal et d'attirer sur lui l'attention de "l'Élogieux", un dieu lié à la nécromancie, au mal et à la revanche.
Quoi ?
Je vais trop vite, mon oncle ? Je t'embrouille ?
Ah peut-être devrais-je faire simple, court, concis...
Après le passage à la cité du Seigneur Elkrin, nous avons rencontré Selaque, sa fille Lia, certains elfes du conseil et le frère de Chauve-Souris, Erfiel.
Je ne sais pas trop encore l'expérience qui fut pour moi la plus marquante. Voir que Selaque avait évolué et avait été en quelque sorte bénie de plusieurs Dieux, découvrir que sa fille avait déjà quatorze ans, me rendre compte qu'Erfiel était un vampire comme son frère ou l'extrême désinvolture de cet individu, humain et tueur de mages, qui allait nous accompagner pour accomplir notre mission : un certain Wolfrid Gulerson.
Quelle mission ?
Mais je t'en ai déjà parlé mon oncle : investir le tombeau des deux frères elfes noirs, ancien adeptes de Lathandre et Eilistraée dans la forêt brûlée et détruire le cercueil de "Chauve-souris".
Oh je repense à la petite Lia, sais-tu, la fille de Selaque. On m'a dit qu'elle était sortie d'un arbre et si elle aussi venait en fait d'un univers à côté où elle aurait déjà été conçue voici 14 ans par Selaque et Célestiel ?
J'ai hâte de voir ce que peut donner cette jeune fille en aventure d'ici quelques années. Il ne s'agit pas de sexe, bien sûr, mon oncle, mais du potentiel que cette jeune fille aurait à rendre des grâces à Sunie par sa simple présence.
Mais bref, trois semaines de voyage dans les bois en compagnie des hommes de Célestiel et de ce Wolfrid, et le temps de regretter un peu le fait que Minuit ne soit pas à mes côtés. Un peu seulement, parce qu'il y avait tant de temps à rattraper avec mes compagnons et tant de choses à apprendre sur l'art de "prédateur" de ce Wolfrid.
Arrivés à la forêt des druides, où Selaque semble avoir un domaine, nous reçûmes la permission d'avoir un druide pour nous accompagner à trouver l'endroit où résidait le corps de deux vampires.
Un premier vrai sacré Donjon, mon oncle, comme ceux dont on parle tant à Eau Profonde.
Le destin qui se croise, des nœuds qui se tissent et la mort qui se love dans les alcôves.
Je puis simplement te donner un chiffre sur le premier jour : 111. 111 morts.
L'idée était pour "Chauve-souris" de nous prendre en tenaille : ses morts-vivants, ses pièges et sa magie dans le mausolée et ses hommes arrivant par paquets de dix par derrière.
Ce sont les hommes de Célestiel ainsi qu'un ou deux druides qui se sont occupés des voleurs, brigands, ruffians et voyous expédiés par la guilde. Un carnage des deux côtés. Célestiel n'a plus que 5 hommes sous ses ordres, les meilleurs, les plus forts, les moins bleu-bites dit-il. Je le crois sans peine. Il y a une archère dans le lot, une demi-elfe prénommé Clarisse. Elle me fait penser à Garresh, elle a fait le choix de la solitude pour l'instant alors que ses quatre compagnons (Boren, le sergent nain prêtre de Tempus ; Afarel un guerrier elfe, Arthur un guerrier humain et Ethan, un archer demi-elfe) sont tous mariés.
Pourquoi est-ce que je te parle de ces héros qui se sont sortis de l'enfer ? Parce que je me demande si pour certains ce n'est pas la foi dans la famille, dans l'amour qu'ils avaient pour leurs proches qui les a sauvé.
Et nous le premier jour dans le mausolée te demandes-tu ?
Difficile, très difficile. De nombreux pièges, des squelettes qui explosent, des spectres, mon dieu, des spectres de tout ordre et tout acabit. Nos sortilèges s'épuisaient, nos blessures étaient difficilement pansées, les ténèbres ne semblant pas vouloir nous permettre de les refermer. Alors que nous étions relativement épuisés, et que trois d'entre nous, Rayan, Garresh et Célestiel, étaient affaiblis par l'énergie nécromantique des spectres, je décidai de remonter seul, profitant d'une transformation en homme-ours plus longue que d'habitude, pour aller dans une pièce sur laquelle nous avions décidé de faire l'impasse. Tout seul. Oui. Pour tomber à nouveau sur une sorte de piège, un piège que je préférais éviter à mes compagnons de prendre. Je voulais exposer le contenu d'un coffre contenu dans cette salle à la lumière me disant qu'on était vraiment passé à côté de quelque chose d'important, en bien comme en mal la première fois qu'on l'avait vu. Et je me retrouvai nez à nez avec un spectre qu'il m'était impossible d'affronter seul, une créature si terrible qu'elle me déroba tellement de mon essence vitale que je sus que j'allais mourir si je redevenais Ardan.
Je ne peux pas t'expliquer au plus juste ce que me fit ce sentiment d'être si proche de la mort. Il ne fut pas semblable à ceux qui n'ont pas la foi. Mourir, c'est rejoindre son Dieu n'est-ce pas ? Mais je crois que j'ai perçu en moi, alors que je défonçais la porte me permettant de sortir du Mausolée, quelque chose proche de l'angoisse pour la possibilité qu'un principe éternel en moi, mon âme, ne se retrouve au mauvais endroit si j'étais tué par cette créature.
Je n'ai la possibilité que de me transformer que quelques fois par jour. Et pas si longtemps que cela.
Je ne saurais remercier assez Alice d'avoir fabriqué cet anneau qui me permet de rester dans la forme de la bête et de l'homme bête toute une journée. Sans lui, j'étais mort. Le spectre lui aussi, est mort une bonne fois pour toutes. Sa tâche était de me poursuivre, il le fit jusqu'au bout, jusqu'à embrasser la lumière du jour et le champ de bataille livré sur lequel les hommes de Garresh avaient manqué mourir. J'avais juste assez d'énergie pour sauver la vie d'Arthur et cette Clarisse avant d'appeler mes compagnons à remonter du mausolée.
Les plus terribles épreuves s'étaient abattues sur nous et sur eux, nos habits étaient déchiquetés, brûlés, rongés par l'acide d'une aberration gélatineuse des profondeurs. Une horreur sans nom qui nous avait tous dévorés, à part Selaque, à un moment ou un autre du combat. Lorsque je les vis remonter, les images de la descente dans cet enfer me revinrent toutes en mémoire : la voix du maître de séant qui se moque de nous, les spectres qui arrachent l'essence vitale de nos compagnons, Wolfrid et Célestiel qui se battent comme des lions, Selaque qui est la seule à n'avoir jamais été touchée et qui manifeste une intelligence tactique hors du commun - loué soit Gond et Tyr, Rayan qui a préservé sa capacité à lancer des sorts en devenant un roi de l'infiltration et moi, obligé de me transformer plus souvent que d'habitude et forcé de rester sous forme hybride pour éviter de mourir. Les sorts, l'acier et la volonté contre les ténèbres, la mort et le mal.
Je ne saurais aussi assez remercier Lathandre d'avoir béni Garresh de dons hors du commun en ce qui concerne la possibilité de faire récupérer ses compagnons affaiblis. Sans ce dernier, nous n'aurions simplement pas pu redescendre dans les profondeurs le lendemain.
Et je ne saurais assez remercier Tymora d'avoir laissé ce bâton de soins dans le coffre que j'ai remonté des profondeurs, une chose confiée à Selaque et dont j'espère qu'elle fera bon usage.
Je te laisse imaginer, au sortir du mausolée, les nombreuses heures passées par Garresh, Selaque et les druides pour purifier tous les cadavres du champ de bataille qui auraient pu sinon être relevés par "Chauve-souris".
Je pense que tu dois savoir aussi ce que ça a été pour les gardes, mes autres compagnons et moi de garder le passage menant dans les profondeurs qui ressemblait maintenant à une bouche des enfers qu'on avait temporairement bouchée par des rochers.
Chance, nous ne fûmes pas attaqués pendant la nuit. "Chauve-souris" nous avait déjà bien affaibli. Il nous attendait maintenant pour son apothéose finale.
Et quelle apothéose, mon oncle, bénie soit Tymora.
Nous nous étions préparés, mon oncle, bien. Nous avions économisé nos ressources pour arriver jusqu'au maître de la crypte. Et là, en pénétrant dans l'anti-chambre de son tombeau, que se passe-t-il ?
Il lève un bâton, invoque une disjonction de Mordenkainen et détruit plusieurs de nos objets ainsi que tous les sorts que nous avions sur nous.
Plusieurs de nos objets dont tu sais quoi au fond de mon sac sans fond maintenant horriblement détruit de l'intérieur par l'explosion de l'objet ?
Tu ne devines pas ?
Le livre de la noire Vilénie, mon oncle. Tout simplement. Par un cruel et atroce tour du destin joué sur lui par ma décision d'avoir gardé sur moi ce sombre ouvrage.
J'avais apporté au maître de la nuit ce qu'il voulait tant récupérer, un artefact du mal que sans faire exprès il avait détruit.
Et je vais te dire, il y a une chose au-dessus de tout que j'ai apprise au cours de cette aventure, c'est que les commandements de Mystra sont d'une justesse sans faille.
On doit faire attention quand on joue avec des sortilèges de très hauts rangs ou qu'on utilise des objets de grands pouvoirs.
Très mécontent du fait qu'on ait détruit son artefact, une chose qu'il avait contribuée à créer, "l'Élogieux", ou du moins son avatar, apparut au milieu de la crypte pour chercher avec nous le meilleur moyen de faire souffrir "Chauve-souris" pour sa bêtise. Je préfère te passer le côté un peu gênant de la conversation ou les nécessaires traits d'humour pour essayer de savoir si on allait aussi être détruit par l'entité apparue. Mais non... Il n'en voulait qu'à celui qui avait détruit son artefact, celui qui connaissait maintenant la peur alors que c'est une chose qui ne semble pas possible pour un mort-vivant. Ce fut un relatif jeu d'enfant après que "l'Élogieux" ait détruit le vampire de localiser le cercueil et d'amener celui-ci au soleil. Un jeu d'enfant.
Il n'y avait point, cela dit, dans la crypte ou les tombeaux de livre de l'Exaltation, le pendant bénéfique du livre de la Noire Vilénie dont nous avait parlé Erfiel. Les deux frères avaient pu au cours de leurs aventures dans un plan dont ils ne connaissaient pas le nom découvrir deux ouvrages opposés, un sur la lumière et l'autre sur les ténèbres.
Mais qu'importait pour certains d'entre-nous, hein ?
Nous avions survécu à l'enfer, à la rencontre avec un avatar, nous avions été bénis par Tymora, Mystra et Lathandre, sans doute sur le coup, sans compter Eilistraée.
Nous avions pu conserver l'équipement du vampire : et paf, un anneau de clignotement pour Célestiel, des bottes de lévitation et un bâton de soins pour Selaque, une couronne améliorant les capacités de réflexions pour moi et une cape très utile pour résister aux prêtres pour Erfiel à qui nous voulûmes remettre plus que la dite cape mais qui se contenta de cela, allant même jusqu'à confier la garde du livre de l'Exaltation à Garresh, désigné comme nouveau Gardien.
Velsharon, Velsharon "l'Elogieux", archimage de la nécromancie, seigneur de la crypte oubliée... L'instrument de la perte de celui qui aurait pu tuer plusieurs d'entre-nous s'il n'avait pas lancé ce fichu sort.
Ça fait frémir, n'est-ce pas ?
Mais au final, pas tant que ça... Parce que si l'avatar de Velsharon a pu apparaître, il ne faut pas oublier que Lathandre a sauvé Garresh et qu'il soit possible que d'autres manifestations divines, tout aussi bonnes, puissent apparaitre dans un futur proche.
Un futur proche où notre prochaine mission est d'éliminer Zorkin.
Des tas de choses à te raconter en perspective, vois-tu...

La plume cesse de crisser.
Minuit a serré sa main dans la mienne. Je sens son épaule contre ma hanche. Klark vient récupérer toutes les affaires posées sur mes genoux.
Je pose un baiser sur le front baigné par les étoiles de Minuit.
Je me dirige vers la fenêtre.
Il est minuit.
Une pensée me traverse, fugace, j'ai idée de demander à Alice de m'aider à fabriquer un objet qui pourrait me permettre de contacter Minuit, à distance, avec tous les sens. De pouvoir la voir, sentir et presque la toucher.
Mais Mystra m'a béni récemment du don de comprendre la nature des objets merveilleux et même d'en créer.
Klark fera l'affaire pour m'aider, ainsi que Minuit. Même si cela devra me prendre quelques années.
Il n'y a parfois pas plus bel ouvrage que celui qu'on a fait soi-même.
Je cueille une rose par la fenêtre, je la dépose au milieu du vase à côté du lit.
Il est minuit, dedans, dehors, dans tout le multivers. Et comme cette rose, je suis encore au centre, pour l'instant.

mercredi 19 mai 2010

Passent les feuilles, la neige, les fleurs et l'été...

A toi, mon oncle et toi, Minuit à qui je transmets ce message.

Un an. Un an déjà depuis que j'ai pris la plume la dernière fois.
Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas éprouvé le besoin de t'écrire. Peut-être avais-je besoin d'être guidé par un mentor.
Je suis allé trouvé Aaris pour lui parler de mon désir de comprendre la magie.
Aaris, c'est un type particulièrement sympa quand on sait le prendre. Il n'a pas tout à fait mon "regard" sur le monde, mais je dois avouer que j'ai trouvé dans les premières semaines que j'ai passé auprès de lui une sorte de réconfort moral dont j'avais besoin, ce lien, ce tissu qui doit se fabriquer dans toute affaire familiale.
J'ai appris la différence, en matière de magie, entre l'art de "l'étude" et l'art "brut" possédé par les sorciers, souvent des personnes possédant une goutte de sang de dragon, ou de fée ou parfois de démon en eux.
Aaris m'a dit que j'avais sans doute plus de potentiel pour le fait de maîtriser l'art brut mais il est clair que ma recherche est plus celle de quelqu'un qui veut étudier.
Je lui ai parlé aussi du magefeu, l'objet d'une quête, certes égoïste, mais qui me semble nécessaire pour me compléter. Il m'a confirmé que c'était un don qui était rare, qu'il y avait intérêt à être apprécié par Mystra, peu importe d'ailleurs qu'on soit magicien ou pas.
Aaris m'a ensuite ouvert un portail afin que je me rende sur Sigil, la cité des plans, et que j'en apprenne un peu plus sur les mystères de l'univers.
J'ai loué une chambre dans cette auberge où j'ai eu des visions. J'ai vu la reine de la cité deux fois, une femme si impressionnant qu'elle tuera quiconque voudrait lui vouer un culte. J'ai participé à quelques débats philosophiques avec différents représentants des "factions". Tout personnage issu des plans commence au sein d'une de ces factions. Il y a fort à parier que ça devait être le cas de ma mère. J'ai bien entendu essayer deux ou trois fois de parler d'elle, mais que veux-tu, mon oncle, il y a tellement de choses dans cette cité et j'y ai passé si peu de temps avec si peu de bagages dans l'art du renseignement que je dois avouer que je n'ai rien su.
De toutes les factions dont j'ai entendues parler je dois avouer que j'ai été particulièrement sensible au "Signe de l'un" qui proclame que chaque individu est unique, à la "Libre Ligue" qui prétend qu'on ne peut parier sur une seule vérité et à la Société des Sensations qui proclame qu'on ne peut connaître le multivers sans faire appel à ses sens. C'est au sein de cet ordre, dans un endroit qu'on pourrait presque qualifier de "lupanar des sens" . J'ai été fasciné par cette manière qu'on ces gens de tout expérimenter pour connaître les limites de l'univers. Ils ont une incroyable tolérance en ce qui concerne qui peut les rejoindre et sont une des rares factions à accepter les étrangers.
D'aucuns, en voyant mon symbole de Tyr, ont pensé que j'aurais plus été intéressé par les membres de la fraternité de l'Ordre... Certes. Mais je ne suis pas quelqu'un qui aime aller vers l'évidence.
Je chéris le moment où je pourrais emmener mes compagnons avec moi, là-haut, et vivre peut-être quelques aventures dans des endroits où je n'ai pu m'aventurer seul. Je me suis fait un ami hobbit, sur place, qui, en plus d'être mon mentor sur place en matière de connaissance de la magie, était aussi le cuisinier de l'auberge des quatre vents. C'est lui qui m'a permis de m'introduire, si je puis dire ainsi, dans la société des sensations. Une chose qu'aurait apprécié Sunie si son influence s'étendait jusqu'à la cité au cœur des Plans.
Mais je m'emballe, mon oncle. Je m'emballe. Tant d'aventures à vivre en perspective là-bas, tant de mondes qui s'offrent à nous.
Lorsque je revins de Sigil, Aaris me fit comprendre que je devais retrouver une certaine Alice pour parfaire mon entraînement. Trois semaines de voyage vers l'est et voilà que je découvre une frêle jeune fille qui a l'air d'avoir 14 ou 15 ans et qui est accompagnée, pour seul ami, d'un pseudo-dragon.
Je te laisse imaginer la manière dont ma mâchoire s'est décrochée quand elle m'a confié qu'Aaris fut son élève et qu'elle était en fait un demi-dragon.
Bercé par les souvenirs que j'avais expérimentés au sein de la société des sensations, j'ai bien essayé de savoir comment cette brave ermite pouvait s'amuser. Il semble qu'elle se contente tranquillement de sa retraite après une vie d'aventures bien menées pour contrecarrer les machinations d'un Dieu mauvais dont elle a préféré me taire le nom. Elle n'a pas d'amant, le seul homme de sa vie fut un gobelours, pas de libido particulière. C'est une sage, une théurge mystique maîtrisant aussi bien l'art de la magie profane que divine. C'est auprès d'elle que j'ai vraiment ouvert mon esprit et que j'ai découvert que si je devais faire de la magie un jour, je n'aimerais pas me contenter de la liberté d'être un ensorceleur. Le fait de ne pas pouvoir s'ouvrir à tous les sorts serait frustrant.
Je ne saurais te dire, également, à quel point je remercie Alice pour les services rendus par des créations invisibles afin de me permettre d'expérimenter de nouvelles sensations.
C'est en faisant une course pour Alice qu'au détour d'un chemin, j'ai aperçu une magnifique jeune femme brune en difficulté. N'ayant pas encore appris encore vraiment l'art brut de l'intimidation et les voyous ne semblant pas pratiquer l'art subtil de la diplomatie, je dus faire preuve de mon art de la transformation pour faire fuir les importuns. Minuit, puisque c'est son nom (c'est ton nom) me tomba littéralement dans les bras. J'étais celui qui venait lui apporter l'occasion d'abandonner une vie de simple paysanne isolée dans la campagne pour lui proposer autre chose.
Ayant remarqué qu'elle avait un don, et ne voulant pas perturber la jeune femme avec le fait que j'avais rêvé d'elle, je demandai à Alice si elle pouvait en faire son apprentie. Ce qui fut chose faite.
Expérimenter toutes les sensations, entends-tu mon oncle.
Moi, deux femmes plus que belles, enfermés dans une cabane pendant près de six mois... Et rien, à part sans doute une bénédiction de Sunie. J'ai respecté les deux femmes et me suis concentré sur d'autres sensations pouvant me procurer des plaisirs aussi forts que ceux de l'amour, plus même.
Plus les semaines passaient, cela dit, plus je remarquais que "Minuit" semblait me voir comme un peu plus que son sauveur et plus je me demandais comment me positionner vis-à-vis de ça, ne voulant pas tirer avantage de mon statut de héros.
Avec l'aide d'Alice, je parvins également à forger un anneau qu'elle enchanta ensuite après avoir mené un examen complet de mon sang et de tous les blocages qu'il y avait dedans. Le potentiel du magefeu était en quelque sorte pour l'instant réprimé par plusieurs éléments de ma nature qui avaient d'abord besoin d'exister.
Nous parvînmes à la conclusion que si 25 % de mon sang était bien elfe, presque les 75 % restants étaient humains, ce qui restait était juste trace d'ascendance démoniaque, céleste et lycanthrope.
Sacré Alice... Elle m'a confié deux objets. Un collier avec 10 "charges" me permettant de l'appeler et de rentrer en contact avec elle et le fameux anneau qui, s'il était porté à mon doigt, me permettrait de me transformer à volonté et sans limite de temps.
Je préfère pour l'instant le garder autour de mon cou, attaché à un collier. Je préfère me méfier de choses que je ne saurais pas gérer si je venais à devoir prendre un quatrième chemin, celui de l'appel de la nature.
Mais je reviens à Minuit, veux-tu, car je veux que tu saches que tu n'es plus le seul à recevoir mes messages mon oncle. Chaque ligne que je t'écris sera également adressée à Minuit parce que bon... tu comprends, il est parfois plus facile de s'exprimer par une rédaction bien posée que par des mots qui ne seraient pas forcément le reflet exact de ma pensée.
J'ai souhaité que "Mystra jette son dévolu sur moi", j'ai eu l'image d'une jeune fille que je sauverais et qui s'appellerait "Minuit". J'ai sauvé "Minuit" et je sens maintenant un nœud dans mon ventre quand je pense à tout le temps que je passerais sans elle. Oui, force est d'avouer que j'éprouve quelque chose pour elle, mais que je me retrouve dans la position de ceux de cette faction qui s'appelle les "Hommes Dieux" : j'ai forgé un destin. Je ne voudrais pas que l'étincelle qu'il y ait entre nous ne soit que liée à la magie. Et en même temps, plus je réfléchis à la question, plus je me dis que finalement l'amour va de pair avec la magie. Cette flamme qui brûle en moi, cette passion qui commence à se développer, c'est peut-être l'écho de ce feu qui est le magefeu et que j'étais parti chercher.
Peut-être que "Minuit" est la source dont j'ai besoin pour comprendre qui je suis à l'intérieur.
Mais il est tard... Je te laisse un instant avant de reprendre la plume demain pour te raconter mon retour à l'aventure avec mes compagnons.

Je suis réveillé dans Sigil, sais-tu.
Il parait qu'un des moyens d'y voyager serait de quitter son corps.
Je veux bien y croire. Là, un homme à la cape sombre, qui me faisait penser à Gaël, notre défunt Gaël, se trouvait devant moi. Quelles factions rejoindraient tes compagnons ?
Je me vois lui répondre que je n'en sais rien.
Il y a fort à parier que la plupart d'entre-eux ne se laisseraient pas forcément enfermer dans un créneau et préféreraient la libre pensée.
Je revois l'homme me demander : qui es-tu ?
Je ne sais pas lui répondre. Une partie de mon sang est celui d'un primaire, l'autre celui d'un planaire. Qu'est-ce que ça fait de moi ? Une créature qui ne pourra jamais être convoquée ou empêchée comme c'est le cas parfois avec les planaires ? Ou une créature qui ne saura jamais par elle-même détecter les portails comme les primaires ?
Bah, peu importe, la conclusion est restée voici un peu plus d'un an que je peux être considéré comme une aberration mais qu'il semble également que je sois affecté par les sorts qui touchent les humanoïdes.
Je me demande si ce sentiment d'être si seul dans ma différence n'est pas également ce qui me rapproche de "Minuit" dans la manière dont je l'ai ressentie si seule dans sa ferme.

Mais revenons à nos moutons, mon oncle, tu veux bien ?
Passent donc les feuilles, la neige, les fleurs et l'été et me voilà convoqué, d'après des indications d'Alice, auprès du seigneur Varasq dans le domaine de Garresh.
Une route qui prend trois semaines. Je n'ai pas le cœur de laisser "Minuit". Je l'ai surprise une fois à parler avec Alice à propos de moi. Je sais qu'elle ne m'a pas surpris parler avec Alice à propos d'elle. Je ne me livre que dans ces lignes.
Je passe les péripéties, la manière d'arriver chez celui que je considère comme le meilleur de mes compagnons (il en faut bien un) et je découvre avec ravissement que le domaine de mon "grand pote" s'est étendu. Le village sur ses terres compte maintenant près de 300 âmes et la population ogre, de son côté, atteint facilement six dizaines, dont plusieurs femelles.
Mes compagnons ont bien changé lorsque je les retrouve.
Garresh a pris en assurance, en confiance en lui, mais il semble aussi s'être engagé sur une voie qui me semble totalement impossible à suivre : il a fait vœu de chasteté. Il s'est engagé encore plus à fond dans la voie de Lathandre.
Célestiel est devenu lieutenant, il a développé des talents de cavalier sur raptor, une bête qui me semble avoir un potentiel fort vicieux. Il porte plus facilement le bouclier. Il est aussi papa d'une petite fille, mais la mère, Selaque, n'est pas du rendez-vous, sans doute le temps de laisser son enfant à garder.
Rayan a l'air d'avoir beaucoup souffert. Il a été prisonnier 7 mois dans les profondeurs, dans les griffes de Zorkin. Il est revenu un peu plus sévère, avec des capacités qui le rendent, hum, bien meilleur informateur, voire espion, qu'il ne l'était avant. Il est ressorti des profondeurs près de la cité des libérateurs, je gage que ça sera un moyen pour nous de trouver une solution pour aller faire la peau à Zorkin.
Varasq, lui, est fidèle à lui-même. Je ne détecte aucune capacité magique sur lui, tout dans sa voix m'assure que non, il n'est pas un mage, pourtant je n'oublie pas le lieu où il nous a reçu la première fois et l'étrange sensation que j'ai ressentie quand je lui ai serré la main la première fois comme si... Oh, et puis non... Peu importe. J'ai une intuition au sujet de Varasq mais je préfère que cela reste encore son secret.
Bref, Varasq est là pour nous confirmer que le seigneur d'Elkrin était en fait manipulé par le chef de la guilde des voleurs, le grand directeur des arènes clandestines et que bon... il serait temps d'envisager l'élimination du monsieur.
Un travail humide. Pour un paladin.
Et je n'ai pas dit non.
Parce que c'était quelque chose de logique, surtout que le dit maître voleur semble être d'après Varasq un mort-vivant plutôt puissant.
Qu'avons-nous fait, mon oncle, te demandes-tu ?
Eh bien nous nous sommes rendus tout simplement à la guilde de la cité d'Elkrin pour avoir une conversation avec ce monsieur. Pas n'importe comment bien sûr. Avec un prétexte : réclamer des renseignements au sujet de Zorkin, car nous savons que ce dernier est un ennemi de notre cible. Les ennemis de mes ennemis peuvent toujours paraitre pour mes amis dit le vieil adage.
On laisse tous les hommes de Célestiel aux portes de la ville. On frappe à la porte, on est reçu par un elfe affable et on est guidé dans le sous-sol jusqu'à un endroit contenant moult cercueil sur un lit de terre bien fraiche. Je dois faire mon possible pour tempérer Garresh et Célestiel qui ont visiblement envie d'en découdre de suite. "Chauve-Souris", appelons-le comme ça, nous propose autre chose qu'un combat aux arènes pour avoir des renseignements sur Zorkin, il nous demande d'aller livrer un message à son frère et de le ramener à lui. Une bonne occasion d'en apprendre plus sur "Chauve-souris" fais-je comprendre à Célestiel qui a pris visiblement l'habitude d'être un chef, je peux me contenter d'être un conseiller avisé.
Marché est conclu après que j'ai admis de nombreuses choses qui ont effrayé un peu mes compagnons mais qui étaient pourtant évidentes. "Chauve-souris" n'est pas né de la dernière pluie, il a un énorme réseau de renseignements lui aussi, inutile de lui mentir en ce qui concerne nos accointances avec Varasq. Malheureusement, ma curiosité naturelle et mon envie d'expérimenter des sensations me poussent à m'enquérir de ce qu'il y a à un endroit où je ressens une forte source du mal.
Nous sommes dirigés vers un coin de la crypte où nous sommes reçus par un prêtre squelette d'un dieu qui n'a plus tellement de fidèles. Et là, malgré la bonhomie de la conversation - l'art de la diplomatie exige d'avoir un sérieux sens de l'humour et une forte capacité à pouvoir jouer avec ses préjugés - voilà que nous nous faisons agresser par plusieurs squelettes de la crypte qui se rapprochent de nous pour exploser en un feu d'artifice d'os et de restes de tendons qui blessent sérieusement la plupart d'entre-nous.
Le combat s'engage.
Je n'écoute pas la flamme qui s'éveille en moi à chaque fois que les armes parlent. Je me précipite vers le fond de la crypte pour saisir quelque chose qui est la source d'un grand mal. Un artefact, ou quelque chose d'équivalent, le Livre de la Noire Vilénie... Un sombre objet capable de dévorer en partie votre âme et de vous réduire à l'état de loque humaine. Heureusement que je bénéficie de la protection de Tyr. Je résiste aux pouvoirs destructeurs de l'objet et me dirige vers le combat.
Un combat qui s'avère extrêmement rude. Les sortilèges de soin de Garresh, qui blessent normalement les créatures mortes-vivantes ne semblent pas faire effet et Célestiel ne touche pas à tous les coups et avec un impact moins fort que d'habitude.
Rayan, après nous avoir encouragé, montre certes qu'il est une aide précieuse pour engaillardir les troupes mais euuh, comment dire ? Il est barde et n'a pas la force de Garresh ou la mienne ou la maîtrise de Célestiel avec le fer. Ses sortilèges ne sont que dans le registre de l'informatif ou de l'esquive.
J'étudie un peu la manière de faire de "Chauve-Souris" pendant qu'un de mes sortilèges de prêtre fait plus ou moins chou blanc. Il est extrêmement dur à toucher et résistant à la plupart des coups. Il est temps de laisser parler l'ours et de donner à Célestiel un avantage tactique en prenant notre ennemi en tenaille. C'est assez lâche, je le sais, d'être à plusieurs sur un même adversaire mais lorsque celui-ci est si terrible qu'on ne peut l'affronter seul, il n'y a pas de honte à avoir.
Honte. Honte que j'espère Garresh n'aura pas en repensant aux événements. Je ne sais pas quelle magie impie a utilisée "Chauve-Souris" mais toujours est-il qu'en à peine une quinzaine de secondes, Garresh, pourtant protégé contre le mal, s'est retourné contre nous, a manqué tué Rayan laissé gisant sur le sol avant que sa tête n'explose en une écœurante gerbe de chair.
Oui. Explose. Garresh, mort. Notre meilleure arme contre "Chauve-Souris". Rayan, prêt à fuir en forme gazeuse. Célestiel bien entamé et confronté à un adversaire tel qu'il n'avait jamais connu et moi, qui comprend la seule manière de nous en sortir. Saisir l'affreux, l'écraser, le forcer à se transformer en brume pendant que Célestiel et moi on espère le toucher dans cet état là. Le resaisir dès qu'il se transforme, encore lui faire mal - mes poings semblent causer beaucoup de tort aux créatures mauvaises - tous les deux et l'épuiser petit à petit en espérant résister au seul sort qu'il pourrait lancer entre le moment où il s'est matérialisé et le moment où je le saisis.
J'ai appris une chose au cours de cette année et des quelques mois qui ont précédé. Lorsque deux adversaires luttent, c'est toujours le plus grand et le plus fort qui gagne. Et dans les sang-de-Lune, il y a cette capacité à devenir grand et fort.
"Chauve-souris" est obligé de se transformer en "chauve-souris" et de fuir. On va l'avoir à l'épuisement sinon, ce qui est un comble quand on est un mort-vivant.
Mais la situation n'est pas rose pour autant. Nous sommes dans la crypte d'une guilde des voleurs avec tous les hommes prêts à nous tomber dessus, Garresh est mort et notre seule porte de sortie, c'est que je me transforme à nouveau, que j'use de mes sorts innés et que je fonce dans le tas en espérant que le style de combat défensif que j'ai acquis pourra nous préserver de suffisamment de coups pour que nous nous retrouvions dehors.
Et ce n'est pas tout. Nous sommes aussi en possession de cet artefact du mal.
J'utilise donc le collier remis par Alice pour lui faire un topo de la situation afin qu'elle me dise s'il y a un moyen de détruire le livre. Je suis encore obligé de rentrer en contact avec la chose et résiste encore, loués soit Tyr et Mystra.
Après un quart d'heure de recherche, Alice me confirme que ça ne va pas être une partie de plaisir de se débarrasser de ça. Bien. Je dépense tous mes sorts pour soigner mes compagnons, je ramasse un morceau de Garresh, ses parties génitales - après tout, ça lui semble suffisamment d'importance pour qu'il ait fait un vœu de chasteté, prie mes dieux de nous aider et m'apprête à faire une course avec mes compagnons lorsque nous sommes baignés par de la lumière divine. Un halo puissant, une source incroyablement bonne qui descend des cieux et fait apparaitre Garresh, entièrement guéri.
Quand un dieu vous aime à ce point là, c'est que vous êtes sacrément béni. Je jalouserais presque Garresh sur le coup, là, tiens. Surtout que Garresh est revenu comme s'il avait prévu pile le sort qu'il fallait pour nous sortir de là : vent divin. Une magnifique démonstration d'un des voiles de Mystra qui nous emporte, tous transformés en courant d'air à travers les conduits d'aération de la crypte vers le soleil et la liberté.
Je me suis permis un petit moment de panache au sortir de l'enfer, retourner seul à la guilde des voleurs pour signifier au garde de la porte que si son maître voulait récupérer son livre, c'était la modique somme de deux millions. Un bluff tactique pour que ce denier croit que la raison de notre visite était de voler son artefact plutôt que de le tuer (ce qui le pousserait à se méfier beaucoup plus).
En sortant de la ville, nous avons conclu qu'il nous fallait nous rendre dans la forêt détruite par le dragon pour y trouver le cercueil de "Chauve-Souris" afin de l'empêcher une fois qu'on l'aura tué de se reconstituer. Cet emplacement fut révélé à Garresh par Lathandre.
Pas rien, je vous dis, d'être aimé d'un Dieu. Bon, bien sûr, en échange, Garresh a une sorte de dette morale, qu'on appelle "quête" en langage d'initié, qui l'oblige à cesser toute affaire courante pour s'occuper de "Chauve-Souris" et du Livre de la Noire Vilénie.
Ceci dit, vu ce que nous avons souffert et qui est cette créature, nous sommes tous tombés d'accord pour suivre Garresh. Ceci sans compter que nous aurons Selaque à rejoindre sur le chemin et sans doute l'aide d'un autre compagnon.
Ouf.
C'était long, hein, cette fois mon oncle ?
Oui, mais qu'est-ce que tu veux... Il y a quand même quelque chose de la tragédie dans ces combats contre les morts-vivants où à chaque fois nous perdons un membre de notre équipe.
Et il y a matière à réflexion.
Selaque, Gaël et Garresh sont déjà morts une fois. Rayan, deux. Et tous ont eu la possibilité de revenir à la vie grâce aux circonstances du Destin. Les circonstances du Destin ou l'œil de certains Dieux posés sur nous d'ailleurs ?
Parce que je ne peux m'empêcher de penser maintenant que nous sommes extrêmement favorisés par rapport au commun des mortels. Nous apprenons vite et parfois même plus de choses que nous n'aurions dû apprendre. Nous sommes toujours tous là, excepté Gaël qui a préféré rester dans le royaume des morts.
Qu'est-ce qui est en marche ? Quels fils sont en ce moment tissés pour nous amener vers quelle destination ?
Je ne peux pas croire au simple hasard, ni à la chance. Il y a une volonté derrière tout ça, et j'ai même la sensation d'une sorte de boucle, comme si nous reproduisions un schéma déjà vécu par d'autres. D'autres qui auraient connu l'ascension et auraient pu devenir des Puissances, à défaut de Dieux.
Et c'est le fruit de cette réflexion, plus ce que j'éprouve pour Minuit qui me pousse à me dire que si je venais à mourir et qu'on cherchait à me ramener, j'accepterais peut-être de le faire - sans compter que ça serait l'occasion d'expérimenter de nouvelles sensations.
Oh bon sang. J'espère pourtant que je n'aurais pas à mourir. Ce n'est pas tant que je craigne la mort que le fait de n'avoir pas pu accomplir tout ce que j'avais à accomplir. Quatre chemins à mener de front, c'est long, c'est dur et ça ne fait certainement pas de vous quelqu'un d'aussi capable qu'un spécialiste.
Prends soin de toi mon oncle. Où et qui que tu sois. Embrasse ma grand-mère pour moi.
Et prends soi de toi aussi "Minuit" qui sait maintenant un peu plus qui je suis...

dimanche 9 mai 2010

Mage Feu

Mon oncle...
Quelques jours ont passé, les choses se sont tellement précipitées.
Ah si tu savais comment je me sens maintenant. Ah si tu pouvais être là pour m'expliquer ma grand-mère.
Je dois te dire une chose, avant tout. Je me suis choisi un mentor en attendant un jour de pouvoir te retrouver - ou même savoir que tu n'es pas simplement qu'une illusion que peut-être Mystra ou quelqu'un d'autre aurait placé sur moi afin de m'aider à surmonter ce siècle de vide où je fus esclave des profondeurs. J'ai besoin d'un guide pour aller plus loin et je me suis permis de me placer sous la coupe de Aaris appelé aussi "LGM", le grand mage de HautBois.
C'est lui qui m'a placé sur le chemin de la magie.
Il y a quelques jours, je suis bien allé tirer une carte avec Selaque et Garresh.
Garresh a obtenu de devenir plus fort après avoir vaincu un adversaire dans un combat.
Selaque a vu les vents de la magie lui permettre d'améliorer un de ses attributs innés, la grâce.
Moi, j'ai perdu de moi-même, des expériences accumulées mais en même temps, forcé de tirer une deuxième carte par la magie du jeu, j'ai acquis quatre souhaits. J'en ai aussitôt donné un à chacun de mes compagnons.
Garresh a souhaité que l'âme de la sœur de Célestiel puisse réintégrer son corps.
Selaque a souhaité que la forêt qui fut détruite voici 100 ans par l'attaque du dragon rouge puisse repousser.
Moi, j'ai simplement laissé les vents de la magie décider quel attribut se verrait renforcé, et ma grâce, dans une moindre mesure que celle de Selaque, s'est trouvée améliorée.
Et puis j'ai aussi souhaité que "Mystra puisse jeter son dévolu sur moi".
J'ai souhaité cela bien avant que Aaris m'en apprenne un peu plus sur les mystères et le magefeu et que mon intérêt pour me rapprocher maintenant du chemin de ma mère se trouve renforcé.
Mais je vais un peu trop loin, je déborde, comme toujours.
Célestiel, Swify et Rayan avaient été laissés de côté car ils avaient sans doute fort à faire de leur côté pour réunir des ingrédients magiques demandés par un ami d'Aaris (soi-disant capable de ramener l'âme de la sœur de Célestiel)...
Nous, nous avions pour notre part trois choses à faire :
Prendre un linceul sur le corps d'Heinrich Von Heschrom, un noble issu d'une très vieille famille de la région.
Ramener des yeux de basilic.
Découvrir, puisque c'était sur le chemin, le domaine de Garresh.
Je dois avouer que je n'ai pas été déçu en ce qui concerne le domaine de Garresh. Après tout, il a obtenu ce dernier après que j'ai tiré une carte pour lui. La magie est une chose incroyable. Le domaine de Garresh l'est tout autant. A l'heure où je t'écris, vivent sur ses terres Elaniel un druide grig, une créature féérique aux pouvoirs assez incroyables, un prêtre de Lathandre chargé de l'éducation de quatre ogres et cinq familles de fermiers.
Le grig qui joue du violon d'une manière telle qu'il est capable d'épuiser par la danse forcée provoquée par la musique presque toute menace qui pèserait sur son bosquet nous a fait un cadeau : une fiole contenant assez d'énergie positive pour soigner tout notre groupe si nous venions à être tous en mauvaise posture.
La suite du voyage vers le domaine des Heschrom a fait l'objet d'une révélation quand j'ai aidé un forgeron à forger une arme. J'ai réussi à faire si bien que je me suis dit que Gond devait aussi parfois être derrière moi. Quatre voies, quatre origines, et pourquoi pas quatre Dieux me suis-je dit ?
Ce soir là, après avoir bien réfléchi à qui j'étais, d'où je venais et ce que je faisais dans la vie, je me suis dit quand même que quatre Dieux s'étaient plus particulièrement penchés sur moi. Tyr et Mystra en premiers, certes. Mais par derrière Gond et Sunie assurément. Gond pour mon goût de la connaissance et de la forge, Sunie pour expliquer l'union de mes parents et ma volonté d'essayer de propager l'amour plutôt que la guerre.
Je pense maintenant que ce voyage, en compagnie des deux mystiques de notre groupe était le voyage initiatique que je devais faire depuis longtemps et que c'est le signe, aussi, maintenant de la voie que je dois emprunter.
Je ne vais pas t'embêter avec tous les détails de ce qui s'est passé dans la cité d'Heschromburg.
Heschromburg semblait maudite, en proie à une sorte de langueur, de misère qui durait des siècles.
Toutes les femmes de la famille du comte mourraient jeunes en donnant naissance à un fils.
Tous les mâles de la famille vivaient 150 ans, plutôt misérables, apathiques.
Enfin bref, sache que nous avons eu l'occasion de rencontrer Hans, le seigneur actuel, et qu'à l'occasion d'une visite dans les catacombes familiales, alors que je soupçonnais une possibilité de bouche des enfers ou d'ancien lieu consacré au mal, nous tombâmes, après ouverture du cercueil de l'arrière arrière grand père du duc actuel, sur une âme en peine.
Nous tombâmes, oui. Car le combat fut extrêmement rude.
L'âme en peine combattait sur un terrain où se placer était difficile (dans une crypte) et elle bénéficiait de pouvoirs d'intangibilité et d'esquive qui la rendaient très pénible à affronter. Chaque coup qu'elle nous portait avait des chances de réduire notre essence vitale. Après plusieurs attaques rondement menées par la créature, il advint clair pour elle que Selaque était celle qui avait le plus souffert. Il s'acharna sur elle, faisant fi de Garresh, des licornes invoquées par Selaque et du fait que j'ai dû me transformer deux fois dans le combat.
Il s'acharna. Et Selaque mourut, l'essence vitale dévorée un peu avant qu'on ne puisse lui porter le coup fatal.
Je passe les explications que nous avons dû livrer à Hans pour signifier comment nous en étions arrivés à ouvrir un tombeau familial. Mais toujours est-il qu'en fouillant le corps du plus vieil ancêtre des Heschrom, nous nous rendîmes compte qu'une sombre machination avait été ourdie voici 400 ans mettant au doigt du seigneur un anneau maléfique, apportant malheur et ruine alors que l'anneau véritable, toujours au doigt de l'ancêtre, était censé apporté paix et prospérité.
La nuit où Selaque reposait, préservée par un sortilège de Garresh, je fis également un songe qui allait m'aider le lendemain pour découvrir cette histoire d'anneau maudit et je rêvais aussi d'une femme aux cheveux bruns que j'allais bientôt sauver.
Je ne peux te dire, à quel point au réveil, en dépit de la mort d'un compagnon, je me sentis totalement en harmonie avec mon destin.
Grâce à Garresh, nous pûmes contacter Aaris qui accepta de sacrifier un des nombreux voeux qu'il avait gagné avec les cartes merveilleuses pour ramener Selaque à la vie. Bien sûr, avant de faire cela, Garresh avait pris la peine d'interroger son esprit défunt qui était totalement prêt à accepter la mort si elle ne pouvait pas revenir dans sa vraie forme.
Lorsque j'ai fait le souhait de ramener Selaque à la vie, j'ai essayé d'instiller quelque chose de ces énergies que je ressens autour de moi, j'ai souhaité que Sunie lui donne un peu plus de grâce, que Gond l'intéresse un peu plus à la "vie", que Tyr puisse l'aider à comprendre le sens de la justice et que Mystra puisse permettre ce miracle.
Et force est de constater que depuis son réveil, Selaque a un peu changé. Elle était déjà extrêmement troublante, mais là... Houuu. Enfin, je dis houuu. Je sais que c'est une des plus belles créatures que j'aie jamais vue mais je sais aussi qu'elle doit vivre quelque chose avec Célestiel. D'ailleurs, si je ne me trompe pas, ils risquent d'avoir un heureux événement tous les deux, une fille... Incroyable, n'est-ce pas ?
Nous obtînmes la permission de rester une semaine chez les Heschrom, histoire de trouver un basilic à chasser.
Et je dois avouer que plus les jours passaient, plus les choses étaient claires dans ma tête.
J'avais perdu un peu de moi, j'avais souhaité la présence de Mystra. Quel meilleur moment pour moi que d'embrasser une autre voie, qui finirait peut-être par me compléter ou me montrer la direction pour la voie finale ?
Je sais que j'aurais dû prendre le temps de t'écrire avant.
Je le sais bien.
Mais comme on dit, tu sais, pas de nouvelles, bonnes nouvelles.
Le domaine de Garresh va se développer, il a noué de bonnes relation avec son voisin direct, la forêt va repousser, les elfes ne sont plus en conflit avec les humains, Célestiel et Selaque vont voir leur relation fleurir, Rayan a sauvé sa sœur...
Évidemment, moi, je n'ai retrouvé personne... Ni toi, ni ta sœur, ni ma mère, ni des représentants du Tyr du temps où mon père servait le temple.
Mais en même temps, j'ai ce rêve tenace. Je vais sauver une femme aux cheveux bruns. Elle s'appellera "Minuit" et nous aurons de la route à faire ensemble.
J'ai vu, aussi, qu'avec l'aide de Aaris, je pourrai suivre ma nouvelle voie. Je ne sais pas si "Minuit" suivra aussi ce chemin, mais je crois au destin, aux hasards, aux bénédictions de Tymora.
Tymora. Un cinquième Dieu à rajouter ? Eh, c'est qu'il y en a tellement et qu'il faudrait aussi que je parle de Chauntea, Thorm et Azouth.
Mais non, je vais en rester surtout aux quatre principaux que j'ai envie de prier.
Je souris.
J'imagine ton visage un peu inquisiteur lorsque je mentionne "Minuit".
Qui est cette femme qui va m'accompagner ? Jusqu'à quel point est-elle liée à Mystra ou son clergé ?
C'est un mystère pour l'instant, mon oncle.
Ce qui n'en est pas un, par contre, c'est que je vais devenir prêtre de Mystra, je l'ai décidé. Comprendre sa nature divine et la nature profane des choses est possible en suivant sa voie.
Et je vais aussi essayer de trouver le magefeu.
Le magefeu expliquerait bien des choses, notamment l'étrange manière dont je me transforme qui n'a que partiellement à voir avec la lycanthropie.
J'ai même entendu parler d'élus qui avaient le feu argent. Un sortilège de chaque cercle leur était connu. Et si la lumière, les ténèbres et cette transformation dont je suis capable n'étaient qu'un écho du feu argent ?
Je sais, c'est un peu présomptueux.
Mais plus je réfléchis au miracle de ma naissance, à qui je suis, aux endroits qui ont disparu de ma mémoire, plus je me dis que je dois comprendre ce qui est cause et raison de tout ça : la magie.
J'ai hâte de rencontrer "Minuit", j'ai hâte de rencontrer d'autres pouvoirs que ceux que j'ai reçus.
Oui d'autres pouvoirs. Je m'aperçois que j'ai oublié de te raconter cela aussi. Maintenant, je peux détecter la magie et j'ai compris également, bien que cela m'épuise - pas plus de deux fois par jour, comment analyser la nature d'un objet magique.
Maintenant, je rêve de cette femme et je sais que j'ai des visions du futur.
Maintenant, je suis enfin bien mieux aujourd'hui que je ne l'étais hier...
Je replonge ma main vers les flammes. Demain, je pars sur les chemins avec Aaris.
J'ai chaud. Mais juste ce qu'il faut.

vendredi 7 mai 2010

La voix du barde...

L'âtre rougeoie.
J'avance ma main vers le feu, bien plus près que ne pourraient le faire des humains ordinaires. Je sens moins les flammes que ces derniers.
Je frissonne et je songe aussi que je sens bien moins le froid que le commun des mortels.
Qu'y-a-t'il d'autre que je ressens bien moins que le commun des mortels ?
La douleur ? Non, pas la douleur.
J'entends à nouveau la voix du barde, celle de Rayan. Rayan vient de raconter tout ce que nous avons vécu. Il n'a strictement rien oublié. Rien.
Les trois jours passés dans le conseil des druides où chacun vaque à ses occupations.
Ce que chacun en a retiré : du plaisir et de la connaissance pour Rayan, visiblement ; une occasion de plus se rapprocher de leur nature pour Célestiel et Silaque. Je ne sais pas trop bien pour Garresh et Swify. En ce qui me concerne, ces trois jours ont été mis à profit pour en apprendre un peu plus sur mon passé et découvrir que mon père était mort et que ma mère était prisonnière des drows dans les profondeurs. Un choc. Mais pas un choc si terrible. Peut-être suis-je immunisé en partie à la douleur mentale finalement.
Après plus d'un siècle, il aurait pu être logique que tout le monde soit mort.
Peut-être que le fait de me connecter à une sorte de vibration en moi, le besoin de la création, de donner vie à quelque chose, en forgeant les objets que j'ai faits pour mes compagnons m'a aussi permis de tenir le coup.
Plus je réfléchis, plus je me dis que j'ai loupé un coche à un moment, que je ne suis pas totalement celui que j'aurais dû être, que le destin m'a joué d'étranges tours et que je ne suis pas aussi accompli que ce que je devrais.
Je sais bien qu'en tant que paladin je devrais ranger mon ego, me poser là, ne pas me préoccuper de certaines choses. Et pourtant, j'ai un vide. Un manque. Une chose qui n'est pas comblée par le fait d'en avoir appris plus sur ma nature. Une chose qui n'est pas comblée par le fait d'avoir ramené la paix entre les hommes et les elfes après avoir rencontré les délégués de la nation elfe.
Je devrais être plus heureux que je ne le suis actuellement. Mais peut-être suis-je immunisé aussi au bonheur.
Après tout, nous avons conclu cet accord avec Délarniel - ancien druide, Féélice - prêtresse, Elfira - archère, Findekano - guerrier et Asrafin - magicien.
Après tout, Délarniel nous a expliqué le sort de la soeur de Célestiel, privée de son âme depuis un demi-siècle et avons-nous grâce au mage de Dehontel et une des ses connaissances, avide de composants magiques pour un sort, la possibilité de comprendre le mystère de la pierre d'âme et de guérir la pauvre malade.
Après tout, Arféus paladin de Torm et son émissaire se sont montrés parfaits dans les négociations que nous n'avions fait qu'ouvrir.
Après tout, le seigneur Elrkin est en partie démasqué dans ses intentions et le seigneur Signifiel, grande autorité de l'Aglarond va sans doute nous épauler officieusement pour faire tomber de requin de la politique et des intrigues.
Je devrais être plus heureux.
Nous sommes sortis victorieux des arènes dirigées par Zorkin, nous avons affronté ses créatures d'un autre âge et ce kobbold magicien sans qu'aucun nous ne perde la vie, même si ce fut à deux doigts pour Célestiel, dévoré par la plus grosse des créatures.
Nous avons eu l'occasion de nous équiper avec les récompenses pour nos actions. Mes compagnons, parfois sur mes sages conseils, ont su prendre ce qui leur irait le mieux pour leurs aventures . Garresh abordera enfin une arme et une armure magique, les pouvoirs de la cape de Charisme de Silaque ne font que renforcer ses résistances naturelles et ses capacités à esquiver les coups, l'arme que s'est achetée rayan est bien meilleure que celle que je lui ai fabriquée...
J'ai eu aussi la possibilité, après avoir remis tout mon argent au temple, de recevoir l'épée de mon grand-père, avec un pommeau représentant la lune et l'ours. Une épée qui semble pouvoir assommer les adversaires et chasser les créatures de chaos plus efficacement.
Mais voilà... Mon cœur est en partie vide.
Peut-être parce que je ne tire aucune gloire à ce que nous avons accompli, c'était normal, après tout, c'était notre travail de héros et d'aventuriers. La gloire emplit le cœur des hommes. La richesse aussi parfois. L'amour également.
Mais non...
Il y a ces choses qui ne sont pas finies.
Mon appel vers Tyr était peut-être trop tôt. Il m'interdit pour l'instant de m'intéresser à ce qui me passionne vraiment : créer de la magie. J'aimerais tant pouvoir créer des choses à l'aune de ce que je suis. Je suis une construction, une aberration pour certain. J'ai naïvement pensé que la magie naissait peut-être dans les choses lorsqu'elle était imbuée par la légende de ceux qui portaient les dites choses.
J'aimerais tant voir les fils de la magie, comprendre les filaments qui sont tissés...
Ca doit venir de ma mère. Peut-être que simplement le fait de vénérer Tyr en tant que clerc pourrait me permettre d'apprendre à voir certains des écheveaux de la toile de la magie. Mais il y là autre chose qui se dessine. Je ne me sens pas entièrement porté par tous les aspects de la "philosophie de Tyr". Ce qui m'intéresse dans la justice qu'il apporte, c'est de savoir, de comprendre, de créer les conditions pour la justice pas forcément de la donner. Je pense que si la chose avait été possible, c'est Paladin de Mystra que j'aurais aimé être.
Alors évidemment, c'est facile pour quelqu'un qui est habitué, comme moi, à percer l'âme des hommes de comprendre que ce désir de comprendre la magie, de faire en quelque sorte un pont entre toutes mes natures - moine, paladin, questeur et mage - est conditionné par l'envie de retrouver quatre êtres.
Toi, mon oncle, qui ne devrait pas forcément exister dans mes souvenirs puisque dans mon esprit, c'est tout petit que j'ai dû fuir le village. T'ai-je créé ? Ne serais-tu qu'une illusion ? Comment, après avoir échappé aux profondeurs, à un destin de statue vivante pour le compte de la terrible bête qui nous possédait, en suis-je venu à te rencontrer à nouveau pour que tu m'expédies sur la voie du seigneur Varasq.
Elle, ma mère, qui était magicienne d'après ce qu'on m'a dit... Elle qui est tieffeline avec des atouts certainement différents, elle qui m'a donné ces attributs étranges et ces traits qui font que je ne peux pas ressembler à un demi-elfe ordinaire . Elle dont j'aurais tant voulu apprendre plus jeune...
Ta sœur, la magicienne, la femme de mon grand-père, la mère de mon père défunt, l'elfe qui vit si loin et qui est partie à l'Éternelle Rencontre. Elle, elle saurait des choses, pourrait m'expliquer ce qu'elle a ressenti lorsque son fils s'est marié avec une magicienne qui n'était pas de son peuple.
Moi. Moi que j'ai vu plusieurs fois, dans le futur, dans cette étrange cité en forme d'anneau. Ce que j'ai vu de moi était ce vers quoi je voulais tendre. Paladin, oui, sans doute, sans aucun doute, mais pas seulement. Paladin de la vérité, de la connaissance, de la compréhension de ce qui fait la trame de l'univers. Connaître, apprendre, créer, faire vivre la magie de manière bonne, retourner ce qui est l'arme de destruction la plus massive qui soit contre les mauvais utilisateurs de cet art.
Ce vide, ce vide que je ressens, mon oncle... Il est pourtant si évident. On ne peut connaitre le monde que si on se connait bien soi-même et que si on maîtrise un maximum qui on est.
Je ne suis pas sûr de mon passé, je ne suis pas sûr de mon futur et si le présent est à peu près certain pour l'instant, je n'ai pas cette sensation d'être accompli en étant tout ce que je devrais être.
J'ai bien appris la nature de la lune et l'ours, si tu veux dans les bosquets.
Mais ce n'est qu'un aspect de moi. Un aspect qui j'ai l'impression parfois m'empêche de me concentrer sur le pourquoi je suis comme ça et le comment maîtriser autre chose qui tient à la magie.
Je viens de passer un cap, mon oncle. Un nouveau cap.
Et je ne me sens pas le paladin d'un seul Dieu. Je me ressens paladin de la quête intérieure, d'un plus grand sens de la justice, d'une compréhension plus fine du sens des choses et de la lutte contre les ténèbres à la manière dont tu m'avais parlé : en servant les ménestrels. Plus infiltré, plus discret. Moins en étalage d'un seul et unique Dieu.
Je ne vois pas pourquoi, au stade où j'en suis, je ne servirai que Tyr en fait. Il y a plusieurs autres Dieux ou des causes bien plus humbles et mortels ou tout aussi grandes (sauver un royaume) qui mérite que mon poing, mes griffes, mon épée ou mon verbe puissent s'exprimer en leurs noms.
Je sens un appel vers ailleurs, mon oncle. Vers cette cité, vers un endroit où l'on pourrait continuer à être un champion de justice et un questeur de la vérité même si le pouvoir des Dieux était étouffé.
La voix du barde se remet à vibrer. Il chante des histoires, tellement d'histoires. Et la plupart ne seront que contes et légendes d'ici quelques années.
Oh dieu, ce que je voudrais avoir la force morale de servir sans me poser de questions, simplement.
Mais ne pas se poser de questions serait aller contre ma nature et ferait de moi un bien piètre serviteur de Tyr ou de tous les Dieux prêts à m'accueillir en leurs temples.
Je te laisse mon oncle, il faut que j'aille parler au mage de Dehontel... J'ai obtenu la possibilité, dans le jeu de carte merveilleuses qu'il possède d'avoir la réponse à chose parfaitement essentielle, voire un problème insoluble. Ca va au-delà d'un simple dilemme.
J'ai envie de tirer une autre carte. Une dernière. Avant de m'en aller, si je peux avoir le temps - j'ai un devoir envers mes compagnons après tout - vers ces portails que l'on voit parfois dans la nature et qui permettraient de voyager ailleurs.
Le monde est bien trop petit pour que je reste ici.
Le feu vient de doucement s'éteindre dans la cheminée. Je regarde ma main. Elle est un peu rouge... Je n'ai rien senti. Forcément.