mardi 20 octobre 2009

Les chroniques d'Ardan

Cher Eostril, je dois avouer que je suis un peu confus. Je regarde les étoiles, les formes qui s'embrassent et s'embrasent parfois dans le ciel et je ne sais plus quoi penser.
Pour moi grand-père est descendu voici à peine trois ans pourchasser les furieuses peaux vertes et les légions des profondeurs.
Et ça ne fait que deux ans que nous avons pris la route vers la côte des Epées pour que tu puisses œuvrer avec les ménestrels.
Et ça ne fait que quelques jours que je suis parvenu à Dehountel, chargé d'une missive à remettre à ton contact sur place.
Un dénommé V. Je préfère employer cette seule lettre pour préserver son mystère et son secret. C'est vrai que le bonhomme semblait savoir y faire pour se protéger : protection mystique dans la cave menant à son bureau, sans doute une illusion sur lui parce que quand je lui ai serré la main, j'ai eu la sensation que sa paume est inversée. Je ne suis pas assez versé dans les mystères pour savoir quelle genre de créature a la paume inversée mais passons. Le V en question recevait en même temps que moi quatre autres individus, tous plus ou moins aventuriers débutants. Je ne crois pas qu'ils étaient là, comme moi, parce qu'ils avaient ressenti cet appel dont je t'ai parlé.
Je te remets cet appel.
Hier, hier, il m'a encore regardé.
Mon maître dormait, un peu embrumé par les vapeurs et la douceur capiteuse d'un cru elfique de l'Eternelle Rencontre.
Il s'est approché de moi doucement. Dans ses yeux, j'ai vu les miens. Je ne connais pas son visage. Je sais qu'il n'est pas d'ici...
Il a posé sa main sur mon épaule et m'a dit : lève-toi, il est temps de prendre la route, de prendre la croisée des chemins, d'aller au Nord puis à l'Est, d'aller en dessous puis au dessus, d'aller au Sud puis à l'Ouest, et enfin de te regarder pour comprendre qu'il n'y a rien de plus important que le centre.
Dans une cité lointaine, un anneau, vivent ceux qui peuvent voyager à travers les plans.
Dans cette cité, lointaine, il y a une maison au toit rouge près d'une auberge portant le symbole de ton clan.
Dans cette maison, il y a une chambre aux murs peints en vert avec un petit coffre au milieu.
Dans ce coffre, il y a une gemme qui contient celui que tu cherches, celui que je suis, celui qui sera.
Dans cette gemme, il y a toi.
J'ai senti une vague me traverser, j'ai entendu l'océan, immortel océan, gronder. Emporté par le sac et le ressac, j'ai été balancé sur une grève infinie dont le décor changeait à chaque fois que j'étais ramené. ll y avait de si nombreux paysages, de si nombreux mondes, régis par tant et tant de lois qu'un instant je me dis, non, tu ne peux pas continuer à être comme tu es, tu dois choisir la voie de l'équilibre, le bien, le mal, la loi, le chaos, une guerre éternelle qui se dessine entre ceux qui portent des cornes et ceux qui crachent des flammes.
Un instant je me suis dit.
Le sang le plus rouge qu'il y a en moi hurlait depuis les profondeurs de fosses abyssales.
Le sang le plus blanc qu'il y a en moi l'emporta comme une vague, la vague dans laquelle j'étais balloté.
Va, vois, vainc et vis...
Réveille-toi fit alors mon maître, réveille-toi, il est temps de se mettre en chemin.
J'ai regardé mes mains, l'une faisait de la lumière, l'autre faisait de l'ombre.
J'ai regardé mes pieds, ils étaient de la terre, capables de courir avec la puissance des ancêtres des pères du père de mon père.
J'ai regardé mon visage et j'ai vu le centre. Au milieu, sur mon front, un peu au-dessus de mes deux yeux, il y avait la vérité.
Je me suis demandé quand l'œil de la vérité s'ouvrirait.
Au loin, là-bas, dans le futur qui m'attend, voyageur à la découverte de son propre passé, je referme le coffre contenant la gemme dans laquelle je me suis projeté tout en sachant que je ne suis rien d'autre qu'un songe dans une nuit d'été.
Je te transmets aussi le portrait que j'ai fini par faire de moi. Tu m'avais demandé de réfléchir à mon portrait visage, je pense que c'est à peu près ça :
Si j'étais un animal : un ours, bien sûr.Si j'étais un végétal : une fleur qui pousse là où les anges ont posé leurs pieds (pour la licence poétique mais sinon, dans l'absolu, un noyer. C'est bon les noix.Si j'étais une partie du corps : le cerveau. C'est lui qui commande tout.Si j'étais une arme : la foi. La foi en soi, aux autres, en l'être humain. Le poing ou l'épée iraient aussi. Si j'étais une qualité : la curiosité. Bien placée. La tenacité aussi.Si j'étais un défaut : la curiosité. Il y a des choses que je ne peux pas m'empêcher de chercher. L'honnêteté est aussi un de mes défauts. j'ai tendance à dire les choses en face.Si j'étais un métier d'aventurier : Un seul ne me va pas. J'aime la nature, la magie, le fait de porter la justice et la maîtrise de son monde intérieur. Il faudrait quasiment que je réponde shaman, ensorceleur, paladin et moine pour avoir juste à peu près partout. Il semble pour l'instant qu'un esprit me parle, cela dit.Si j'étais un voeu pour moi : avoir aussi bien accès au sang de ma mère qu'au sang de mon père.Si j'étais un objet : une flamme, une flamme éternelle.Si j'étais une passion : la poésie. Pas forcément en vers, je peux me contenter de la prose.Si j'étais une couleur : celle de l'âme, bien sûr.Si j'étais un mot ou une maxime : Il n'est point de sagesse dans la parole de l'homme seul.
Mais revenons à V. Il avait une proposition à nous faire, aux autres aventuriers et moi. Surveiller une caravane. Histoire de voir ce qu'on valait et qu'on puisse gagner un peu d'argent ou acheter certains renseignements. Tu sais très bien que ma curiosité est un de mes principaux défauts. Je n'ai pas pu refuser, curieux de découvrir qui serait V. en vrai.
Au cours de la petite expédition, j'ai pu découvrir un peu mes compagnons d'aventure.
Il y a Rayan, un barde, humain. Il a l'air d'aimer l'argent et ne semble pas préférer le combat frontal. Il gagne pas mal d'argent dans les auberges. Je me demande s'il n'est pas capable un peu de faire les poches des gens. Mais ainsi sont les bardes dans leur jeune carrière, je le sais, puisque toi même tu l'es. Je ne sais pas trop encore pourquoi il est sur les chemins. Il me semble qu'il lui manque quelque chose ou quelqu'un. Il fut un support non négligeable pour m'encourager lorsque j'eus à utiliser mon don contre des assaillants.
Il y a également "Dédé", un type un peu sale, vaguement louche, adepte des réflexions axées sur l'humour noir. Je pense qu'il a un fond elfophobe. Mais tu me diras, tout le monde n'a pas la chance d'avoir été éduqué selon des principes moraux qui permettent de comprendre que nous sommes - au final - tous égaux. Et je dois avouer que mes origines me poussent sans doute plus facilement que n'importe qui vers la tolérance. Quoi qu'il en soit, "Dédé", semble bien savoir se battre et il n'est pas difficile de lui faire plaisir en lui donnant plus d'argent à lui et Rayan lorsque le partage se fait. "Dédé" comme Rayan sont plutôt dans la mouvance de l'ombre, des roublards et il est clair que l'argent est un moteur plus puissant pour eux qu'il ne l'est pour moi. Je ne connais pas les motivations de "Dédé". C'est le plus mystérieux de notre groupe.
Il y a ensuite Celestiel, un elfe guerrier avec une vilaine cicatrice sur la tête. Il semble qu'il vivait non loin de chez nous et que son clan ait eu sérieusement à pâtir de l'attaque du Dragon qui a ravagé notre forêt après l'attaque des orques. Je crois bien qu'il venait pour chercher des renseignements à ce sujet auprès de V. C'est un guerrier efficace, qui agit sans se poser des questions dans le feu du combat, ce qui est nécessaire et qui n'a eu aucune peine à tuer ceux de sa race qu'on a affrontés au cours de notre expédition.
Puis, il y a une ange des bois, une elfe aux oreilles très longues, dotée de fortes capacités de druide. Sélaque ou Senaque, je n'ai pas bien compris son prénom et je l'appelle toujours "Dame" tellement elle est... oh. Ah la la la... Je sais que tu connais bien mon second défaut, ma faiblesse en face de la gent féminine. Mais force est d'avouer, Eostril, que je n'ai jamais vu de femme aussi belle. La pauvre semble cela dit complètement perdue dans les cités. Je suppose qu'elle doit avoir du sang féérique ou qu'elle a quelque chose des esprits des bois. De nombreuses notions évidentes pour nous ne lui sont pas claires. J'ai dû beaucoup prendre sur moi pour ne pas lui montrer ce que c'est que faire l'amour (car ce n'est pas sale comme tu aimais tant à le raconter) et j'ai décidé de la protéger des humeurs vicieuses de ceux qui pourraient abuser de son innocence. Elle semble douée de facultés extrêmement supérieures à celles de nos compagnons mais qu'est-ce que cela veut bien dire quand on est innocente et incapable de voir la corruption ou la concupiscence dans le cœur des hommes ?
Lors de notre petite expédition, nous devions accompagner quatre caravaniers avec lesquels j'ai tenté de sympathiser. J'ai beaucoup apprécié Tarik dont le fils Robert est bien malade. J'ai pris soin d'écouter mon cœur et je lui ai remis une partie de mon argent, tout comme je l'ai fait aussi dès que je pouvais à des temples ou à des pauvres.
Mais bref, je m'aperçois que le temps me manque pour te résumer ce qui nous est arrivé. En gros, sur le chemin, nous nous sommes fait attaquer deux fois par des sortes de fanatiques elfiques, prêts à éradiquer la race humaine. Au retour, il y avait un nain portant le symbole de Vecna qui voulait me capturer pour m'étudier. Je lui ai fait croire que j'étais de son côté, que les autres étaient juste des pions sur un échiquier et crois-moi je vais essayer de mettre à profit par le futur l'art du bluff et de l'intimidation que j'ai peu pratiqués jusqu'à présent car ce sont des bonnes armes contre ce genre d'individus totalement gagnés à la cause du mal. Je suis persuadé, mon oncle - tu ne m'en voudras pas si je t'appelle ainsi - que le mal n'est pas une chose qui complètement innée qui corroderait le coeur de celui né avec une mauvaise essence. J'ai du sang de démon ou de diable en moi. Je serais peut-être devenu mauvais avec une autre éducation. Mais passons. J'ai l'intention de remettre ce nain aux autorités et advienne que pourra.
Tu sais quand même que je crois à un semblant de justice, d'organisation et d'état de la civilisation.
Mais pour te parler des autres péripéties du voyage, en gros ce que j'ai perçu pendant qu'on cheminait, c'était que :
- les elfes radicaux étaient incroyablement obtus. Je me suis fendu d'une lettre à leur égard mentionnant le dragon qui ravageait la forêt et ils n'y ont rien entendu.
- le seigneur de la cité où nous avons livrés la marchandise est une sorte de pédant prétentieux qui risque de ne faire qu'envenimer le problème. Aucune expérience et je ne suis pas sûr qu'il ait de bons conseillers.
- aller en aventure en groupe est ce qu'il me fallait. Ceci dit, je me rends compte de certaines des limites de la synergie de groupe. J'ai souvent entendu parler qu'une équipe de 5 était constituée d'un prêtre, d'un mage, d'un voleur et de deux combattants. Là, on va dire qu'on a un roublard qui a des capacités de magicien, un voleur et un guerrier pur jus, une druidesse qui peut faire office de prêtre et moi qui une fois par jour peut faire office de guerrier. Je ne sais pas encore si je vais continuer dans ma carrière de moine, je t'avais déjà dit que d'autres appels se faisant en moi : shaman, paladin ou coureur des bois. On verra bien. Peut-être que j'en apprendrais auprès de chacun des membres de ce groupe et qu'il est de mon destin d'étudier chacune de leurs voies. J'attends des signes de celui dont je rêve parfois.
- les gens dans les villages attaqués par les elfes sont racistes. On ne peut pas leur reprocher.
- les gens dans les villages qui ne sont pas attaqués par les elfes sont aimables.
- je préfère dormir dehors et vivre de manière sobre (en exceptant évidemment un possible commerce avec les femmes, un peu de boisson de temps en temps). J'ai aussi ce sens aigu de la psychologie. J'ai besoin de comprendre et de cerner l'âme humaine ou elfe ou celle de tous ceux que je rencontre sur mon chemin.
- j'ai des doutes. J'ai même un peu peur.
En effet, mon oncle, dans la cité où nous livrions les marchandises j'ai appris quelque chose de troublant. Cela fait 100 ans que la forêt a été rasée. Cent Ans.
Mon grand-père est-il toujours en vie ? Il y a peu de chance.
Mon père, qu'est-il devenu ? Qui est ma mère ? Qui est ma grand-mère alors que cent années ont passé ?
Et surtout, est-ce que cent années ont aussi passé depuis que je t'ai quitté.
Les bois féériques ont d'étranges propriétés. Très étranges. Cela voudrait-il dire que certains ont choisi mon destin.
Le nain a parlé du fait que j'étais quelque chose de "fabriqué". Quelles autres choses ont été fabriquées ? Et comment se fait-il que mes compagnons apprennent des choses aussi vite ? Il faut être assurément "bénis des Dieux" pour ce faire.
Tu vois, mon oncle, je ne sais pas encore si cette missive te parviendra un jour. En attendant, je vais tout rédiger dans un carnet. Peut-être qu'il est possible de revenir dans le passé.
En attendant, je vais m'en retourner regarder les étoiles s'embrasser et s'embraser. Je vais sourire en pensant au doux parfum de la Dame, au courage de certains de mes compagnons ou à leur tendre bonhomie parfois, lorsque leur regard s'éclaire en regardant des pièces d'or et je vais écouter le vent qui souffle depuis les forêts des fées. Peut-être me diront-ils quelle voie je dois emprunter.
Dois-je rester celui que je suis, ou prendre les atours d'un shaman encore plus à l'écoute du vent ou d'un paladin prêt à composer encore plus efficacement avec les fanatiques et les adeptes sectaires de toutes sortes.
Je t'embrasse mon oncle. La lune pose doucement sa caresse sur moi. Je sais que tout à l'heure je rêverai encore de cette gemme que je dois me tailler pour la poser sur mon front. Dans mon futur, c'est sûr, c'est comme ça que je suis.
Mais j'ai le temps. J'ai étrangement beaucoup de temps. Surtout si cent ans ont passé depuis que je t'ai vu la dernière fois.

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