vendredi 15 janvier 2010

Gladiateur

Tu vois, mon oncle, il est des choses qui me dépassent.
Et il en est d'autres, si simples, si faciles depuis que je suis devenu la lumière.
La lumière, entends-tu. Tout est devenu si simple depuis que j'ai reçu des visions au temple..
J'avais l'intention de suivre quatre voies, d'équilibrer chacune de mes sources. Mais si je sais à peu près que la mère de mon père était une elfe, je n'ai toujours pas suivi la voie de la magie.
Si je me doute que mon père était un paladin, je n'ai rien pris du chemin de son père, un guerrier / ranger de l'Ours...
Et en ce qui concerne ma mère, hein, ma mère. Quelles voies suivait-elle ? Est-ce d'elle que je tiens cet appel de la forêt et la rigoureuse disicipline du moine ?
Tout est devenu si simple et tout est à la fois si compliqué. Pourquoi ces choix ? L'homme qui me regarde, là-bas, dans la cité entre les plans, lui, le sait.
Tyr, le Dieu que j'ai rejoint, lui, le sait.
Moi, je sais aussi que ma course est juste vers la voie de l'exaltation. Et j'ai ressenti, mon oncle, un frisson comme jamais à voir enfin triompher la justice lorsque nous avons pu faire libérer Selaque. Oui, elle est libre... Ca n'a pas été sans mal. Nous avons dû accepter de combattre dans une arène pour le chef de la guilde des voleurs du crû. Un individu qui m'avait déjà aperçu dans le passé que j'ai oublié.
Un combat rude, dans le sens où dominé par le chef de la guilde j'étais pris du besoin impérieux de frapper un de mes compagnons pour le mettre au sol. Heureusement que ce besoin ne m'a pris qu'après qu'un de nos trois adversaires (un ours sanguinaire, un ogre et une succube) n'ait été mis à terre. Heureusement qu'il me restait assez de libre arbitre pour choisir mon adversaire. J'ai choisi celui que j'aurais le plus de mal à faire tomber et de fait, emporté alors par la nécessité de faire tomber un de ceux de mon camp, je me suis pris à attaquer ceux qui s'approchaient de moi. Heureusement qu'une zone de protection contre le mal lancé par Garresh a mis fin au sortilège extrêmement puissant invoqué par ce chef de guilde.
Le mal, il respirait le mal. Mais pas moyen de faire autrement que de passer un marché avec lui. Ce qui nous a permis aussi d'apprendre que le prêtre de Kossuth avait peut-être ourdi le plan qui avait permis d'enfermer Selaque.
Et au final, mon oncle, au final...
Nous avons perdu pour l'instant Gaël qui a pourtant plaidé notre cause auprès du Seigneur d'Elkrin.
Nous restons Celestiel, Selaque et moi dans le doute en ce qui concerne notre passé. Mais, mais, mais... Nous avons aussi appris ce qui fait l'âme d'un groupe, le corps et l'essence de l'aventure. C'est de cette essence dont je me suis nourri pour ressentir l'exaltation dont je t'ai parlé tout à l'heure. Au retour au village de Dehontel, nous avons eu l'occasion de tirer des cartes merveilleuses à nouveau. Enfin nous... moi... et j'ai demandé aux cartes que cela soit pour mes compagnons. Pour Célestiel et Rayan qui recherchent leurs soeurs et pour Garresh qui veut un hâvre de paix pour les ogres comme lui.
Les statistiques que je tire trois bonnes cartes étaient à peine de une contre 9, mon oncle. Ai-je été aidé par Tyr ou ai-je bénéficié des acquis de ma récente sagesse supérieure ? Je ne sais. Je sais juste que lorsque les cartes furent révélées, que c'était moi qui avais pris les risques et eux qui avaient reçu la récompense, j'avais moi aussi ma récompense : la sensation de savoir ce que j'étais, la sensation de savoir vers où j'allais et quel chemin j'allais emprunter.
J'aurais pu tirer une carte pour demander à avoir une réponse sur ces cent années d'oubli. Mais je gage que les choses viendront en temps et en heure et qu'en apprendre trop maintenant risquerait de nous faire perdre un peu la tête à Celestiel, Selaque et moi.
Hum.. Que te dire de plus, mon oncle ?
Rayan, semble lui aussi s'être éclairci après avoir fait un songe à propos de sa soeur.
Celestiel qui semble ne pas être doué du don de bien parler (il a eu quelques difficultés en voulant se présenter à la guilde des voleurs) montrera peut-être plus de talents pour cela maintenant qu'il sait que la quête qui le mène vers sa soeur croise peut-être la quête que nous devons suivre.
Garresh a beau avoir payé une certaine fortune pour obtenir des renseignements pour délivrer Selaque, il est maintenant maître d'un domaine qui vaut certainement beaucoup plus et peut-être que la magie des cartes lui permettra de faire venir des ogres dans ses terres.
Selaque a retrouvé son loup et la forêt. Et je crois que Celestiel a le béguin pour elle. Elfe et nymphe de toutes les manières, ça va bien ensemble.
Gaël que je n'ai plus envie de surnommer Dédé manque pour l'instant (pour toujours ?) à l'appel. Une ombre drappée de mystère. Peut-être n'était-il là que comme le souffle du vent, transportant la graine qui devait germer un peu plus loin, libérer Selaque.
Et quant à moi, eh bien, je sais que la voie du paladin que je suis maintenant n'est pas rigide au point de m'interdire le fait de pratiquer certaines des techniques que j'avais apprises avant auprès de toi.
Ah mon oncle... Je sais bien que tous ces mots que je t'écris et que je brûle le soir dans l'âtre ne te parviennent pas forcément. Mais je vais te dire... Je crois au pouvoir des objets pensées, je crois à la volonté et au destin. Je crois que parfois les Dieux peuvent être avec nous...
Un jour, je trouverai un message de toi. Un jour, je saurai qui était ma mère, et quel fut le destin des parents de mon père.
Un jour, aussi, je serai à nouveau gladiateur... Non pas que j'y prenne un plaisir infini mon oncle. Mais il y avait quelque chose de pur et de vrai dans ce combat choisi par chaque participant.Quelque chose qui me permettait de ne pas donner la mort et d'en apprendre plus sur mes limites. Il y a des choses que je dois encore apprendre sur la manière de donner les coups ou d'arrêter mes adversaires. Des choses que je ne dois pas apprendre de l'Ours. Je n'ai pas l'occasion de prendre l'Ours beaucoup de temps dans une journée, mon oncle. Et je dois trouver le moyen d'être meilleur lorsque je ne pourrai pas faire appel à la bête. Une exaltation dans la quête du moyen d'être encore plus juste dans la manière de faire.
Ce qui n'interdit pas, je te rassure, de continuer à pratiquer les arts que tu m'as enseigné : comment y aller de bon coeur avec l'humour.. Oui, rassure-toi mon oncle... Ce que tu lis est peut-être ma nature profonde. Mais je t'assure que j'ai conscience que les deux autres plus grandes armes dont je peux disposer sont l'humour et le verbe. Des talents que j'ai absolument l'intention de continuer à cultiver. C'est ça aussi qui permet de cimenter un groupe...

vendredi 1 janvier 2010

La falaise noire...

Je ne sais pas, je ne sais plus...
Tu vois, j'ai commencé ce journal en pensant à toi, mon maître, mon mentor, celui qui a guidé les plus difficiles de mes pas...
Et qu'apprends-je, qu'est-ce que je découvre ?
Mon passé est une tombe vieille de cent ans. Une marque apposée par un elfe à la peau noire risque à n'importe quel moment, je crois maintenant, de me faire passer pour quelqu'un qui risque à tout moment de basculer.
Vois-tu, je repense à ces jours passés. Je nous vois sortir de ce réseau souterrain, je nous vois affronter une elfe, un démon et un Yuan-ti... Le Yuan-ti s'enfuit, l'elfe et le démon meurent, laborieusement. Azek Taureau-Tonnerre, un vieux compagnon du passé, meurt aussi, une vengeance accomplie pour lui. Se laisse mourir.
Je nous revois revenir vers l'enclave établie pour essayer de protéger la forêt.
Et ce jeu, ce jeu de cartes merveilleuses.
Le magicien nous a dit que cela pouvait être ombre ou lumière. En tirant ces cartes, j'ai acquis un ouvrage qui a éclairci mon esprit, j'ai aussi retrouvé des filaments de ce que j'avais perdu, j'ai senti des forces revenir en moi, des forces que j'avais certaines acquises au cours de ces cent années que j'ai oublié.
Je ne sais pas trop ce qu'il est arrivé à mes compagnons. Je dois avouer que je me suis concentré sur mon brouillard et ce qui arrivait à Selaque.
Tous n'ont pas eu forcément de la chance en tirant les cartes. Certains semblent même s'être voilés. Je me demande si cela n'a pas été le cas pour Selaque... Après que nous ayons enquêté à un endroit où les elfes semblaient faire des affaires avec des gens de la cité de ce jeune et arrogant baron d'Elkrin, nous avons été victimes d'une sorte machination. Je revois l'enfant accuser Selaque, et le mal qui est maintenant détectée sur cette dernière.
Elle est enfermée, presque déjà jugée, même une bougie de vérité n'y peut rien. Nous sommes aux abois. Rien n'y fait vraiment.
Mais je te quitte quelques instants. Je dois aller prier. Prier oui, car les filaments qui me sont revenus du passé, peut-être dans le désordre d'ailleurs, car j'aurais souhaité retrouvé un peu de la science du mystère, m'ont ouvert à nouveau les portes du paladinat. Oui, paladin, entends-tu. Comme je l'avais été, comme mon père et comme toi aussi peut-être...
Prier et peut-être avoir une vision. Peut-être...

J'ai prié pour voir des choses à propos de mes compagnons, mais non... je reste avec pour seul outil ma raison et ce que j'ai acquis en lisant ce livre qui a éclairé ma manière de percevoir les choses....
Dédé, parce que c'est ainsi que je préfère le surnommer préservant même son identité dans cette lettre, non, je ne vois rien sur lui. Il cache son visage, il fait partie de la guilde des voleurs, il sait manier le verbe de manière acerbe, il n'a pas les mêmes orientations philosophique que moi, mais il y a une chose de certaine. Il n'a pas cent années oubliées. Il ne s'est pas démené lorsque Selaque s'est fait enfermée. Tout simplement peut-être avait-il des affaires à faire en ville, des contacts à trouver pour nous aider ou ses propres ombres, moins mortelles que les miennes, à s'occuper.
Garresh est un noble compagnon. Lui aussi est révolté par ce qui s'est passé au sujet de Selaque, nous avons demandé audience ensemble au seigneur d'Elkrin pour essayer de sauver notre compagne. Nous n'avons que quelques jours pour ce faire et comme seule piste la guilde des voleurs vers laquelle nous a menés Rayan... Garresh est une créature qui pourrait être surgie des ténèbres et qui sert le bien. Il est une voie que je dois suivre aussi, un espoir dans la nuit qui fut la nôtre à Selaque, Célestiel et moi... Il est une voix que j'aime entendre aussi. Il a l'âme d'un guerrier et d'un prêtre et finira sans doute sage, du moins je le crois.
Célestiel a des ombres, comme moi. Et autant d'années qui lui manquent. Il est aussi plus propice à s'emporter, il a sans doute la flamme de l'esprit des bois en lui. Une flamme vive qui pourrait le pousser à s'emporter et à périr sous le fil de l'épée adverse. Mais en ce qui concerne le combat, c'est un compagnon sûr et surtout, eh bien, il est possible qu'il lui arrive la même chose qu'à moi ou Selaque.
Rayan est mort une nouvelle fois, en fouillant la salle dans laquelle nous avions occis le démon et l'elfe. Il n'a pas eu de chance, ça aurait pu être moi. Heureusement que nous avions de quoi payer sa résurrection au village où Dehontel a envoyé une garnison. Rayan est revenu, avec aussi de lourds problèmes. Il semble qu'il soit accusé de certaines choses à Dehontel. Cela est venu après qu'il ait tiré des cartes merveilleuses. Etranges cartes.
Plus j'y réfléchis, plus je me demande s'il ne serait pas possible que les cartes, et non une machination, soit l'objet de ce qui change Selaque. Ca serait sans doute plus cruel mais plus simple.
Rayan est un compagnon sur lequel on peut compter en dépit de ce que « l'état d'être barde » pourrait laisser supposer. Il est l'autre chemin que je dois suivre. La magie des arcanes. Je sens en moi une déchirure. C'est magicien que j'aurais voulu être avant de rentrer dans le paladinat. Magicien, pour aider les autres et appréhender mieux certains mystères que je n'aime pas voir inconnus.
Un prêtre de Tyr m'a dit que le chemin du paladinat était exigeant, qu'on ne pouvait pas s'en détourner. Mais moi, je ne me détourne pas. Je ne fais que retrouver dans le désordre des choses qui m'appartenaient. Du moins en ai-je l'impression.
Selaque enfin. Selaque, meurtrie par le jeu des cartes, qui retrouve un compagnon animal encore plus gros après la mort de son loup et qui a l'aura de quelqu'un qui sert les ténèbres lorsqu'on la regarde avec l'oeil capable de percer les effluves du mal. Selaque qui s'est donnée à Rayan, Célestiel et moi. Moi en premier. Et qui n'est pas faite pour cela, qui est faite pour chanter les arbres, se fondre dans la forêt, devenir l'esprit de la nature. Je ne regrette pas de lui avoir montré ce que c'est que d'aimer physiquement, mais ce n'est pas une créature qui appartient à ce domaine ou du moins, je ne pense pas que je sois digne encore d'appartenir à son royaume...
Selaque est en prison. Elle a été torturée, interrogée et elle est déjà presque jugée. Elle est accusée de servir le mal. Le mal qui s'est peut-être réveillé du fait de cette étrange marque que nous avons Célestiel, elle et moi. Mais je ne crois pas, je ne pense pas.
Je ne sais pas...
Plus que quelques jours pour la sortir de là. Et une seule piste qui reste possible : la guilde des voleurs. Qui a embauché le gamin qui a accusé Selaque de lui avoir fait mal, qui a lancé les sorts sur Selaque qui la font passer pour une créature mauvaise ?
Qu'en est-il du respect que je dois avoir pour la loi ?
Je n'aurai pas de respect pour la loi si elle est inique. Je ne sers que la véritable justice. Pas celle des tyrans et des manipulateurs. Si certains jugent que cela peut me faire perdre le paladinat que j'ai récemment acquis alors il en sera ainsi... Mon coeur, lui, reste pur. Et au regard de mes compagnons et de ce que tu aurais pu attendre de moi, c'est le plus important.
Je regarde la justice, les ombres du pouvoir et pour l'instant, je ne peux pas bouger, mon oncle. Peut-être le seigneur d'Elkrin est-il manipulé par un pouvoir derrière le trône que nous n'avons pas encore perçu. Peut-être Garresh, Rayan et Dédé pourront trouver des moyens de nous sortir de là. Moi, de mon côté, je serai la voix. La voix de la justice et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour sortir cette pauvre Selaque de sa geôle sans que personne ne soit meurtri...
Et ensuite... Ensuite ?
Où es-tu mon oncle ? Qu'es-tu devenu ?
Je ferme les yeux. J'essaie de retrouver des images de ce passé, de ce gouffre de plus de cent printemps. Un mur, une falaise se dresse devant moi.
Et je ressens au loin, celui que je serai, dans une autre cité, au coeur des plans, dans une auberge à l'enseigne flou, refermer un moment le livre de sa vie... Peut-être est-il pour lui temps de se reposer.